Je me souviens de la première « danse du bacon » à laquelle j’ai assisté : c’était une enfant de cinq ans dans le rayon des biscuits de mon épicerie. Elle voulait le gros sac avec un ourson célèbre dessus et sa mère ne voulait pas le lui acheter. Un combat épique s’est engagé et s’est terminé après dix rounds et un K.O. technique : la maman au milieu de l’allée, traînant littéralement par la manche de manteau sa petite, hurlante et flasque comme un ver de terre; sous le regard consterné de la foule de spectateurs.

C’était dans ma vie-avant-les-enfants. Vous savez, quand on croit savoir exactement comment il faut élever un enfant! C’est la période où l’on regarde les parents courir, s’humilier et se fâcher dans les allées de l’épicerie en secouant la tête avec un bruit de langue qui dit tout notre mépris : « tsst, tsst, tsst… avec moi, ça ne se passera pas comme ça!».

Et dix ans plus tard, ça s’est passé exactement comme ça!

C’était mon Aîné, et l’objet de la crise était une boîte de biscuits au fromage (où ça le fromage??) en forme de poissons. On en était déjà au sixième round quand je me suis rendue compte de tous les yeux qui se braquaient sur moi. Ô la grande tentation de mettre la boîte dans le panier! Juste pour faire taire Aîné. Pour ne plus sentir ces regards de reproche. La pression monte incroyablement dans ces moments-là.

Allais-je trouver la force de tenir ma décision (ces biscuits sont pleins de colorant, de préservatifs et d’amidon de maïs!!!) sans crouler sous la pression émotive des cris et des regards? Comme il est difficile d’entendre pleurer son enfant!

J’allais céder quand une femme dans la cinquantaine s’est approchée de moi avec le plus doux des sourires. « Je sais comment tu te sens; j’ai eu cinq enfants! Ne t’occupe pas de tous ceux-là qui te regardent. C’est toi la mère. Tu prends la meilleure décision possible, c’est tout. On ne discute pas avec un enfant de cinq ans. On ne négocie pas. On décide, on fait de notre mieux et on continue. Vas-y. Maintenant. »

Et c’est ce que j’ai fait. J’ai ramassé Aîné hurlant dans mes bras, sans me fâcher. Je comprenais son désir mais j’assumais mon rôle. Ce n’était pas facile; mais c’était ce qu’il me semblait devoir faire.

J’ai remercié la dame avec mes yeux et, me retournant, j’ai croisé le regard d’une jeune femme-sans-enfant qui fronçait les sourcils. Et je lui ai souri. En espérant qu’au jour de la « danse du bacon » de son premier enfant, il se trouvera une mère expérimentée pour lui rappeler doucement qu’on n’achète pas pour faire taire les pleurs ni pour obtenir l’approbation des étrangers.

On prend les meilleures décisions possibles et on continue.